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Laure Barachin est l'autrice de plusieurs romans dont "Les Enfants du mal", "Un été en terre catalane", "Le Chemin des Étoiles", "Le Rêve d'une vie meilleure" et "La jeune fille qui lisait dans les pensées".

Daniel Mendelsohn Les Disparus

Quand la petite histoire rejoint la grande.

Au début des années 2000, Daniel Mendelsohn s’est lancé dans une enquête à la fois intime et historique, sur les traces des membres de sa famille disparus en Ukraine, pendant la Seconde Guerre mondiale, lors de ce que l’on a appelé plus tard « la Shoah par balles ».

Les recherches des historiens se sont poursuivies et ont mené à des découvertes récentes: par exemple, 79 ans après, le lieu du massacre de Babi Yar, sous la ville de Kiev. Le musée de la Shoah de Babi Yar est prévu pour 2026.

https://fr.timesofisrael.com/mystere-resolu-le-lieu-du-massacre-de-babi-yar-a-ete-localise-79-ans-apres/

Extrait:

Mon désir de posséder un tel récit n’était pas très différent du désir qu’avait mon grand-père de croire aux histoires du voisin juif ou de la bonne polonaise. Les deux étaient motivés par un besoin de croire à une histoire qui, aussi horrible fût-elle, donnait un sens à leurs morts – qui ferait qu’ils seraient morts de « quelque chose ». Jack Greene m’a dit autre chose, ce soir-là : ses propres parents, comme Shmiel, avaient espéré pouvoir mettre leur famille à l’abri, obtenir des visas ; mais, en 1939, la liste d’attente pour obtenir des papiers était de six ans (et six ans plus tard, tout le monde était mort, a-t-il ajouté). Comme je suis quelqu’un de sentimental, j’aimerais croire – nous ne le saurons jamais, bien sûr – que mon grand-père, ses frères et ses sœurs, ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour Shmiel et sa famille. Ce que nous savons, au moins, c’est que, en 1939, rien de ce qu’ils auraient pu faire n’aurait pu les sauver.

Pendant tout notre voyage, j’avais été déçu parce que aucune des histoires dont j’avais entendu parler n’était confirmée par ce que nous pouvions entendre et voir ; pendant tout le voyage, j’avais désiré un récit passionnant. C’était seulement en écoutant Jack Greene que j’ai compris que j’étais à la recherche de la mauvaise histoire – l’histoire de la façon dont ils étaient morts, plutôt que celle dont ils avaient vécu.

Ma chronique de Babelio:

Ruchele Jager avait seize ans en 1941. Sur la photo, elle est une jeune fille belle et souriante.

Nous avons tous dans nos tiroirs quelques photos de nos aïeux prises dans leur jeunesse. J’avais demandé à mon grand-père des photos de lui quand il était jeune et ainsi j’avais récupéré un splendide portrait de lui et ma grand-mère dans les années quarante. En 1941, il avait vingt-quatre ans et ma grand-mère vingt. Ils ont vieilli, pour le meilleur et pour le pire… Mais Ruchele, elle, n’a pas vieilli… Pourquoi ?... Parce qu’elle « a été tuée par les nazis ». Comment ? À cause de « la Shoah par balles ». Qu’est-ce que cela signifie ? Que se cache-t-il derrière ces étiquettes très brèves, trop brèves peut-être.

Daniel Mendelsohn s’est posé la question et est parti enquêter aux quatre coins du monde, sur les traces de Ruchele, ses sœurs : Lorka, Frydka, Bronia et leurs parents : l’oncle Shmiel et la tante Ester. 

Ce récit se lit à la fois comme une enquête policière, un essai philosophique et une réflexion historique, psychologique et métaphysique, grâce à l’insertion et aux commentaires de passages bibliques.

J’ai trouvé le texte agréable à lire malgré la gravité du propos. J’avais envie comme Daniel Mendelsohn de comprendre comment le mal et l’horreur absolu pouvaient soudain surgir mais aussi, comme lui, de savoir qui étaient ces quatre jeunes filles, comment elles avaient vécu, qui les connaissait, qui les aimait, quels souvenirs ceux qui les avaient côtoyées gardaient d’elles.

Daniel Mendelsohn est un conteur érudit et talentueux qui parvient à retracer les histoires croisées des membres de sa lointaine et défunte famille. Le récit est toujours captivant, jamais glauque, pourtant, il ne cache rien des horreurs de cette terrible période. Il sait faire preuve d’une grande empathie, tout aussi grande que son intelligence, son aptitude à apaiser les esprits tourmentés par la culpabilité et ainsi obtenir sans juger des confessions qui l’aident à mieux comprendre la situation politique des pays de l’Est dans les années quarante, comment tout a basculé dans la barbarie, comment le voisin est soudain devenu un ennemi qu’il fallait éliminer.

Ce livre est un hommage rendu aux êtres chers disparus pour qu’ils ne sombrent pas définitivement dans l’oubli. Soixante ans après, il n’est pas évident de trouver des témoins, d’anciens amis, petits amis qui, parfois, n’ont pas envie de se remémorer une page douloureuse de leur existence.

Dans Les Disparus, Daniel Mendelsohn voudrait d’abord savoir comment sont morts ses aïeux mais ce qu’il finit par apprendre, c’est surtout comment ils ont vécu. Ainsi, il les fait revivre à travers ses recherches et la quête de témoignages. Il reconstitue une époque révolue et qui pourtant n’est pas si différente de la nôtre. La jeunesse des quatre filles ressemblerait presque à la nôtre et à celle de nos enfants. C’est ce qui est troublant, effrayant, nous incite à la vigilance, à la réflexion sur le mal et comment il peut parfois surgir ou pourrait resurgir.

Ce récit revêt un caractère universel, intemporel et, à travers l’histoire personnelle de Daniel Mendelsohn, devient un livre qui honore aussi la mémoire de tous les peuples victimes de massacres de masse et de génocides.     

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